Un discours prononcé par Sant Kirpal Singh lors du lancement du programme éducatif au Manav-Kendra, le 21 Juin 1972.
L'homme a bien souvent été perçu comme la couronne et la gloire de cette création. "Non seulement l'homme est à l'origine du développement, non seulement il en est l’instrument et le bénéficiaire, mais par-dessus tout il doit en être lui-même la justification et le but ultime."
"L'homme, que Dieu a fait à son image", comme nous l’a dit Jésus-Christ, devrait s'avérer un réceptacle digne de Ses bénédictions. Mais hélas! L'homme d'aujourd'hui a trahi la plupart de nos attentes. De plus en plus, sa vanité l'a conduit à se considérer comme le centre du monde, en lui faisant oublier ses défauts. Le système éducatif qui aurait pu remédier à tous ses maux et promouvoir son développement complet s'est avéré totalement inadéquat.
D’une certaine manière, un étudiant d'aujourd'hui ne peut accéder à une véritable connaissance, qui l’aurait aidé à acquérir la juste compréhension de la vie, résultant en pensées, paroles et actes justes.
En fait, le véritable but de l'éducation est de développer le caractère et la personnalité de l'élève, sa force d’esprit, de volonté et d’âme.
La meilleure éducation est celle qui nous enseigne que la finalité de toute connaissance est le service.
Ce "service" est un autre nom pour l'amour et la fraternité, qui constituent l'essence même de la vie personnelle et sociale. L'amour et la fraternité apportent avec eux la paix, la douceur et l'humilité, – les valeurs fondamentales de la vie dont les sages et les prophètes de l'Inde et du monde ont sans cesse souligné l’importance.
Nourrir ces valeurs, les mettre en pratique et les adopter sans réserve dans la vie, c’est cela la spiritualité.
"Spiritualité" n'est pas simplement un nom donné à quelques dogmes religieux. En fait, l'affirmation dogmatique n’a pas sa place dans la vie spirituelle. Un jour Huen Tsang a posé une question à Shil Bhadra, le chef de l'Université de Nalanda: "Qu'est-ce que la connaissance?" Il répondit: "Mon enfant, la connaissance est la perception des principes ou des lois de la vie. Et le meilleur principe de vie est le sentiment de fraternité humaine – le sens du partage." Il a dit que ceux qui cuisinent pour eux seuls sont des voleurs.
Jésus demanda une fois à ses disciples. "A quoi servirait-il à un homme de gagner le monde entier et de perdre son âme?" La voix parmi eux qui apporta la réponse: "A rien Jésus, a rien", était la voix de la spiritualité.
Guru Gobind Singh a dit: "Ceux qui mettent de la nourriture dans la bouche des pauvres et des nécessiteux la mettent dans ma bouche."
Cette capacité à partager est connue sous le nom de spiritualité, sans laquelle toute l'éducation est n’est qu’un exercice futile. Comme Gentile, un grand penseur, le dit un jour: "Une école sans contenu spirituel est une absurdité!"
L'éducation moderne est largement égocentrique et rend les hommes spirituellement et socialement incompétents. Ils entrent ainsi dans la vie, en vue de gagner de l'argent sur la terre et des applaudissements pour leur plaisir personnel, oubliant que le vrai bonheur ne commence que lorsque l'on sort de son petit soi-même – l'ego – et que l’on recherche le Soi plus vaste.
La chose la plus importante pour l'éducation est d’être en relation avec la vie. "La connaissance sans action est aussi vide qu’une ombre." L'éducation n'est pas un parchemin desséché mais "l’eau vive de l'esprit." L'école doit être un foyer d'enseignants et d'étudiants qui reflètent dans leurs études, dans la cour et dans leur vie quotidienne la vertu chérie de l'humilité.
Tant que notre connaissance ne nous permet pas de nous imprégner des aspects les plus nobles de la vie, elle n'a pas atteint son but.
Al-Ghazali, un homme d’érudition et de méditation, dit dans son livre "Child – ou l’enfant": "Sache, mon enfant, que la connaissance sans action est folie, et l'action la plus noble est le service."
La principale maladie de l'éducation actuelle, c’est qu'elle conduit à dissocier le cœur et la tête.
Elle met l'accent sur le développement de la tête, et aiguise l'intelligence dans une certaine mesure. Mais bien plus essentielle est la libération du cœur. Cela se fera lorsque la raison est éveillée dans la sympathie pour les pauvres, les faibles et les nécessiteux. L'abnégation se développe dans le cœur, et c’est donc le cœur qui a besoin d’être ouvert.
La jeunesse devrait:
- s'efforcer de poursuivre l'idéal du don de soi et pas des émotions.
- être simple, car la simplicité est force
- apprendre à coopérer avec tous, et ne pas laisser les différences de croyance ou d’opinions politiques se mettre en travers de la solidarité
- accepter l'idéal porteur de force créatrice, qui voit dans toute l'humanité une unité, et dans le service la fin de toute connaissance.
Les enseignants doivent former des étudiants dans un esprit de sympathie et d’amour, mêlant à l’information l’inspiration et au savoir l’amour. Quelqu’un peut réussir des examens à l'université et pourtant rester ignorant des réalités de la vie. Il peut avoir lu mille livres, et pourtant n’être resté qu’un rustre. Mais la véritable éducation ferait de lui une personne cultivée au vrai sens du terme, et l'âme de la culture est la courtoisie. L’érudition peut être fière, la culture est humble.
C’est assez paradoxal, mais la culture et l'agriculture sont similaires à bien des égards. L'âme est ce champ qui doit être cultivé en disciplinant les désirs et les émotions.
Qui aurait pu le dire mieux que le Bouddha qui, tout en dissertant sur l'analogie, observait: "Je laboure, sème et cultive; et de mon labour, et de mes semailles, je récolte immortelle. Mon champ est la religion, les mauvaises herbes que je ramasse sont les passions; ma charrue, c'est la sagesse; mes semailles sont la pureté."
Nos Rishis ont prié, "Tamso ma jyotirgamaya" – "Guide moi des ténèbres vers la lumière."
Mais cette obscurité ne peut pas être illuminée en un jour. Les briques, le mortier, le confort et le luxe ne peuvent donner une telle formation. C’est le fruit d’une atmosphère adéquate. C'est pourquoi l'accent à l'école devrait être mis sur l'atmosphère plutôt que sur les règles, les manuels et les bâtiments.
Le cœur tendre d'un enfant demande d’être manié avec beaucoup de délicatesse. En fait, c’est même avant la naissance que l'éducation commence, ainsi les femmes enceintes doivent être plus entourées de soins et d’attention.
C'est l’association constante avec des énergies empreintes de douceur qui engendre des personnes vertueuses. L’enfant est au centre d’un processus créateur vivant. Il doit s’épanouir comme une fleur, doucement, par la sympathie, non par la force. Ne laissez pas l'enfant être emprisonné dans la machine des examens, ne le laisser jamais être réprimandé avec dureté et mépris.
La fraternité produit quatre fruits. Le premier fruit est Arta, ou l'aspect économique de l'éducation. Le second est le Dharma, qui prêche le respect de la loi. Kama prévoit la croissance plus libre et plus complète des êtres humains. Le plus important est, bien sûr, le quatrième, Moksha, la libération complète.
C'est la libération de nos petits soi, qui nous pousse à nous débarrasser de toute la bigoterie, l’étroitesse, et le chauvinisme qui encombre nos esprits.
Si l'éducation ne nous permet pas de nous élever au dessus de notre niveau d’individus ordinaires, d’élever nos esprits moyens jusqu’à des hauteurs de vue supérieures à notre vision normale des choses, elle ne remplit pas son but.
En fait, on constate lamentablement que l'éducation actuelle, qui devrait assurer une croissance intégrée de la personnalité humaine, n’offre qu’une préparation très incomplète et insuffisante pour la vie.
Dans ce processus, la situation géographique de l'école joue également un rôle majeur. Le mot allemand "Kindergarten" très expressif dans ce contexte. "Kinder" signifie "enfant" et "Garten" signifie "jardin", indiquant que chaque école devrait être située dans un joli coin de nature.
Dans l'Inde ancienne, chaque Ashram était aussi un jardin. Le Manav Kendra est situé dans un endroit sain et pittoresque dans la vallée du Doon, offrant une vue grandiose et inspirante sur les sommets enneigés de l'Himalaya.
Selon la vraie tradition de Manav Kendra – centre de l’homme – le site appartient à toute l'humanité et sert à développer compréhension, paix et progrès. Cette institution est dédiée à la réalisation concrète de l'unité humaine et a pour projet un concept entièrement nouveau d'éducation holistique et de vie de haute valeur morale selon les critères éthiques de la spiritualité.
Le corps humain est le véritable temple de Dieu. Dieu réside dans le temple du corps élaboré par Lui-même dans le ventre de la mère, et non dans les temples bâtis par les hommes.
Sans un changement intérieur, l'Homme ne peut plus assumer un développement intégral de sa vie. Pour accomplir cette tâche vitale et indispensable, la nature même de l'éducation doit être transformée afin qu'elle puisse donner à la société de jeunes hommes et femmes qui ne soient pas seulement formés intellectuellement mais aussi émotionnellement pour un leadership vigoureux, réaliste et constructif. Notre vision est d’y créer une atmosphère où les personnes pourront grandir et se développer intégralement sans perdre le contact avec leur âme.
L'objectif est d'en faire un lieu où les besoins de l'esprit et le souci de progrès humain seront placées au dessus des satisfactions matérielles, la recherche de distraction ou de plaisir. L'éducation devra clairement y être orientée vers la spiritualité et donnée, non pas en vue de la réussite aux examens, d’obtenir des certificats et des diplômes, et de rechercher un emploi, mais pour développer les facultés existantes, qu’elles soient morales, éthiques, ou autres, et pour l'ouverture de nouvelles perspectives et de nouveaux horizons afin de réaliser le rêve de la Réalité.